Lundi 2 novembre 2020. Il fait gris ce matins, nuageux, un vent d’automne. Pas de soleil pour éclairer cette journée qui s’annonce difficile. Je pars travailler la boule au ventre. C’est la rentrée : je prépare ma classe. 8h20. J’accueille mes petits CP dans la cour. J’en ai mal au cœur de les voir arriver en courant avec leur masque, pressés de se laver les mains ? pressés de se ranger ? ou pressés de me voir ? Ils sont tous avides de me raconter Halloween et leurs vacances, de me me montrer leur masque. On essaye d’en plaisanter : là, un fantôme, un autre est un squelette, des licornes. Les parents se sont démenés pour trouver des masques rigolos. Certains n’en ont pas, les familles les plus démunies. La directrice a pourvu un stock pour ces petits là. Lavage de mains, l’appel et et c’est reparti. Mais je n’entends pas les enfants assis au fond de la classe, alors je bouge beaucoup, être plus mobile pour ne pas les amener à porter leur voix. Il y a moins de chahut, certains ne parlent plus. Je leur explique les gestes barrières, la comptine du lavage de mains, je me refuse à faire tout un cours sur le port du masque. Ils ont déjà compris.
Emploi du temps : il n’y aura pas de gymnase aujourd’hui. En fait il n’y aura plus de gymnase : un mur interne s’est écroulé pendant les vacances emportant la vie d’une petite fille. Nous ferons sport dans la cour. J’écoute leurs propos, leurs réactions. Nous en reparlerons cet après-midi.
11h. Heure de sport dans la cour. Le temps s’arrête. Seuls le vent et les feuilles continuent leur danse macabre. Mes élèves respectent cette minute de silence, seuls dans leur tête à se demander pourquoi. Entre consignes sanitaires, mort au gymnase, et le retour à la lecture, je n’ai pas eu le temps d’aborder l’affaire Samuel Patty. Je leur expliquerai cet après-midi. Le sport et la vie reprennent. Je leur autorise le masque sous le menton, contre l’avis de ma direction. Je le sais.
Je les regarde courir et à ce moment précis, je n’ai qu’une envie : partir. Claquer ma dém. Faire autre chose. J’ai honte d’être l’adulte qui leur inflige ce masque, le deuil, la tristesse, de faire rentrer la violence dans leur innocence, leur joie de de vivre. Partir. Mais qui sera là demain pour eux ? Qui leur fera classe si je m’en vais ? Nul n’est irremplaçable, mais il n’y a plus de remplaçant. Ils m’apportaient leur joie des vacances, Halloween, citrouilles et sorcières, je leur apporte contraintes, mort, terrorisme. Je les regarde courir, j’ai honte. J’ai la boule au ventre, les larmes aux yeux.
15H. La lecture et les maths achevés, nous reprenons les sujets difficiles de la journée. Pourquoi a-t-on fait sport dans la cour ? Les enfants en savent plus que moi sur la chute du mur. C’étaient leur salle de judo pour certains. On parle de cette petite fille, elle avait 6 ans comme eux. Pourquoi a-t-on fait une minute de silence ? Je les laisse me raconter ce qu’ils savent. La plupart connaissent les faits, mais tout se mélange un peu. Je replace les événements dans l’ordre, simplement : non, ce n’est pas un enfant qui a tué un professeur, ce n’est pas non plus les enfants qui ont donné l’arme à l’assassin. Nous parlons beaucoup du rôle des enfants dans cet événement, c’est ce qui semble les avoir le plus perturbés. Puis nous ouvrons le débat sur la liberté, sur l’école, sur leur façon de voir le monde. Ils ont tant à dire, c’est passionnant. Je termine cette journée avec une histoire rigolote « L’école, à quoi ça sert ? » .
Nous en reparlerons demain. Demain j’aurai poussé les tables pour avoir plus de distance entre eux et faire des pauses masques, pour adapter nos contraintes à leur besoin d’enfant, ma salle est spacieuse c’est une chance. Demain nous reparlerons pour ceux qui le souhaitent de nos émotions. Demain, nous découvrirons le planisphère et le globe terrestre (lumineux, c’est magique) pour faire voyager notre mascotte autour de la Terre, nous replacerons les pays connus des élèves et découvrirons ceux qu’ils veulent apprendre à connaître. Nous verrons le pays de H…, petite fille discrète Japonaise qui aura tant à raconter. Nous apprendrons que le Maroc n’est pas une insulte ou juste un mot rigolo, mais un pays, celui de A…, fier de venir le voir sur la carte. Demain, ils trouveront ce livre dans le coin bibliothèque de la classe : « la liberté ».
Pour aujourd’hui, il est 16h20. Quand N…, petite fille émotive en difficulté, me dit, avec le sourire (sous son masque), que c’est déjà l’heure des mamans, qu’elle n’a pas vu le temps passer, je me dis que oui, c’est pour ça que je suis toujours là, que je serai là demain.
Et c’est avec les papillons dans les yeux, fière d’être leur maîtresse, de leur avoir enseigné les apprentissages dits fondamentaux, mais aussi de les avoir écoutés, donné cet espace de parole, d’avoir partagé nos émotions, échangé notre regard sur le monde, que cette journée s’achève, que je pousse mes meubles, que je travaillerai cette nuit pour refaire mon emploi du temps et y inclure plus de temps « bien être », que je me lèverai demain et les jours suivants, que je suis professeur des écoles.
Oh merci Caro,
Quel magnifique partage! J’aurai envie de le copier et de le partager au monde entier.💕💞💝
Merci d’Être qui Tu es 😘✨💖
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Merci Anne Cécile, partage au monde entier, il faut qu on sache ce qu on vit, ressent et comprenne l amour des enfants
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Très beau témoignage, surtout très bien raconté. Une belle exhortation à nous réapproprier nos actes quotidiens pour les remplir du sens que nous aimerions qu’ils portent et qu’ils diffusent.
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ce métier offre du sens chaque jour, ne jamais oublier ce privilège! courage ma belle et merci pour tes mots
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ensemble dans la même barque, merci, bisous
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